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L'interview

Trois questions à Agnès Lacroix

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1. Vous êtes professeur en psychologie du développement et neuropsychologie de l’enfant. Quelle place tient le diagnostic dans vos travaux et dans votre pratique ?

 

Mes travaux de recherche portent principalement sur des maladies génétiques rares. Dans ce contexte, la question du diagnostic se pose assez peu. En revanche, pour ce qui est de la pédagogie, la question du diagnostic est importante. Les étudiant.e.s sont parfois en attente de réponse sur quels sont les critères diagnostiques pour telle ou telle pathologie. Il est nécessaire de les accompagner dans une réflexion qui ne se limite pas à quelque chose de quantifiable et qui répondrait à tel ou tel critère. Au contraire, il faut qu’ils soient en mesure d’entendre la plainte, la comprendre dans l’histoire du sujet et pas simplement à l’instant T. Avoir une approche neuropsychologique des difficultés ou des troubles ne se limite à la dimension « neuro » mais doit bien prendre en compte le fonctionnement psychologique de l’enfant dans son ensemble.

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Dans le cadre de ma pratique, la demande des familles est toujours orientée par le diagnostic et par une attente de nommer les difficultés. Il s’agit donc de bien comprendre dans quel cadre s’inscrit cette demande et l’attente qu’il peut y avoir par rapport à ce diagnostic. Il est important, à mon sens, de rapidement dire à la famille que le diagnostic pour lequel elles sont en attente ne sera pas peut-être pas celui qui sera posé et qu’il peut aussi ne pas y avoir de diagnostic. La question du diagnostic s’inscrit donc dans un processus avec la famille et l’enfant et pas uniquement nommer les choses.

 

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2. Certains patients s’adressent à vous pour valider des diagnostics qu’ils ont eux-mêmes trouvés et qui ont à voir avec une identité qu'ils se donnent eux-mêmes. Comment s’accorde votre pratique du diagnostic avec celle de vos patients ?

 

De plus en plus de jeunes adultes ou de familles se présentent effectivement en disant : « Je suis … » ou « Mon enfant est … ». À cela s’ajoute le savoir qu’ils en ont : « je le sais parce que j’ai lu des ouvrages, j’ai vu des films et je me suis reconnu ou j’ai reconnu mon enfant ». Pour ces situations, c’est complexe car l’attente est très forte, puisqu’on attend que les choses soient dites comme les patients le souhaitent. Je dirai qu’il y a deux situations. Il est parfois nécessaire de « décoller » une image qui a été posée sur l’enfant (ou que la personne s’est posée elle-même) parce qu’au final l’enfant / la personne finit par adopter le comportement qui correspond à ce « diagnostic ». Il ne faut donc pas enfermer la personne mais au contraire permettre une lecture autre de la situation. Et parfois, il faut trouver un juste milieu entre la façon dont la personne s’est construite au travers ce diagnostic et une réalité qui est autre. Il s’agit là d’apporter une lecture des symptômes qui limite les effets négatifs ou déstabilisants d’un diagnostic. Au final, il me semble qu’au-delà de l’attente d’un diagnostic, ce qui compte c’est de faire part au patient / à la famille du fonctionnement psychologique de la personne.

 

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3. Les liens entre diagnostic en psychiatrie et ses usages par l’administration sanitaire sont de toujours un sujet sensible, aujourd’hui particulièrement, qu’en pensez-vous ?

 

Effectivement, la démarche diagnostique a pris une place prépondérante probablement guidée, d’après moi, par deux choses. D’une part, sans diagnostic, on ne peut pas prendre en charge. On assiste à une « course au diagnostic » comme si c’était à la mode et qu’il fallait avoir un diagnostic. Il ne faut pas se leurrer, lorsque les familles sont en attente d’un diagnostic, une seconde question arrive : de quelles aides pourrons-nous bénéficier ? On en voit les effets délétères à travers la saturation des institutions qui ne peuvent plus accueillir dans un délai raisonnable les patients. Ce qui va conduire au tout inclusif : l’école doit être en mesure d’accueillir ces enfants sans qu’on se pose la question de la pertinence de cette inclusion.

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D’autre part, tout symptôme renvoie à un diagnostic. Sur ce point, la psychiatrie a particulièrement évolué, les manuels diagnostiques dits de référence incluent de plus en plus de symptômes pour une pathologie ce qui fait que de plus en plus de personnes peuvent être diagnostiquées puisqu’on étire les catégories. Il y a très certainement des enjeux politiques et sanitaires (pharmacologiques) qui contribuent à cette logique, qui prennent le pas sur la logique de l’accompagnement. Malheureusement, les formations universitaires prônent cette approche centrée sur le diagnostic en prenant pour témoin la recherche dite scientifique qui peut être, pour partie, critiquée à bien des égards.

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Au-delà d’une pratique de la psychiatrie qui a évolué, la médiatisation de certains troubles a contribué à cet engouement. On ne compte plus les documentaires sur les troubles psychiatriques.

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