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L'interview

Six questions au Docteur Didier Papeta, psychiatre à Brest (29). Le Docteur Papeta assure des consultations spécialisées autour du diagnostic de bipolarité.

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1. Avec la promotion du DSM, il y a eu substitution du trouble au symptôme. Quels effets trouvez-vous que ce changement a produit pour les personnes qui vous consultent ?

 

Les patients qui viennent en consultation sont à mon avis peu sensibles à cette approche : ils racontent leur histoire, verbalisent des plaintes et c’est le praticien qui va devoir repérer ce qui fait symptôme pour établir une ou des hypothèses diagnostiques. Pour les psychiatres de ma génération, les références diagnostiques appartiennent dans la majorité des cas à la nomenclature française classique utilisée dans le manuel de psychiatrie de Henri EY, même si la nomenclature actuelle (CIM 11 en partie inspirée des DSM) est de plus en plus présente. Dans ma pratique j’utilise toujours les termes d’état dépressif ou d’accès maniaque.

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2. Les sujets arrivent souvent avec un diagnostic qu’ils se sont forgés au fil de leur recherche et qui a une fonction pour eux, parfois écrasante, à l’occasion apaisante. Y-a-t-il une place pour cette élaboration de savoir très personnelle dans le processus diagnostique ?

 

Il est vrai qu’un certain nombre de sujets vus en consultation ambulatoire ont parfois une étiquette diagnostique déjà construite soit par leur recherche personnelle sur internet, soit après avoir consulté un ou des confrères qui ont évoqué leurs hypothèses et même parfois leurs certitudes. Dans ma pratique orientée en grande partie vers les troubles de l’humeur, je reçois probablement autant de sujets porteurs d’une étiquette erronée qu’ils se sont appropriée et dont ils souhaitent une confirmation, que de sujets qui s’interrogent et m’interrogent sur un diagnostic dont ils doutent. Dans les deux cas, l’avis du sujet sur son propre diagnostic donne lieu à un échange et parfois à un questionnement sur les implications que ce diagnostic a pu entraîner à tous les niveaux (évolution, thérapeutique, conséquences sociales et professionnelles voire juridiques).

 

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3. La nomination de « bipolaire » auprès des médecins et dans la société apparaît comme une nomination non stigmatisante mieux supportée voire revendiquée et de ce fait plus largement utilisée ? Qu’en pensez-vous ?

 

Je ne suis pas du tout persuadé que la dénomination « bipolaire » soit moins stigmatisante que celle de « maniaco-dépressif » même si une petite proportion de sujets se l’approprient volontiers. Beaucoup de patients évoquent spontanément cette stigmatisation, y compris au sein de leur entourage familial, et il suffit de voir comment les compagnies d’assurance réagissent lorsqu’un sujet évoque le mot « bipolaire » dans un de leurs questionnaires : questionnaires complémentaires, demandes d’expertise et surprimes exorbitantes.

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Je ne suis pas davantage persuadé que la majorité des psychiatres aient actuellement une connaissance correcte de la grande hétérogénéité clinique du spectre bipolaire qui dépasse largement la classique psychose maniaco-dépressive. Le mésusage presque devenu commun dans les médias du terme « bipolaire », dont tout le monde croit connaître les tenants et aboutissants, est du même registre que celui du terme de « pervers narcissique » qui est maintenant vendu à toutes les sauces !

 

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4. Une identification trop massive à un diagnostic peut-elle poser problème tant au patient qu’au praticien ?

 

Sans aucun doute, et tous les psychiatres comme tous les médecins y sont régulièrement confrontés mais ce peut être aussi une opportunité d’échange et parfois d’orientation vers un travail de réflexion psychothérapique.

 

 

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5. Quels problèmes, quelles limites rencontrez-vous dans l’exercice de la démarche diagnostique en tant que spécialiste de la bipolarité ?

 

Pour commencer je dois préciser que c’est l’évolution symptomatique vers un trouble franc de l’humeur (accès maniaque ou épisode mélancolique) de certains patients que j’avais rencontrés lorsqu’ils étaient plus jeunes et pour lesquels un diagnostic de psychose délirante aiguë avait été posé à l’époque, qui m’a conduit à m’intéresser à la bipolarité, sans référence explicite aux nouvelles classifications mais plutôt dans une approche phénoménologique.

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Lorsqu’il s’agit de patients vus ponctuellement à la demande d’un confrère, une consultation unique permet le repérage d’éléments cliniques pour ou contre le diagnostic dans une approche probabiliste, mais rarement l’affirmation d’un diagnostic précis. La position subjective de « spécialiste » impose une grande prudence avec certains de ces patients dont l’histoire et la personnalité peuvent influencer la perception de nos propos. En pratique, je propose toujours à ces patients de les revoir pour évoquer avec eux leur vision subjective de la première rencontre et les échos qu’elle a pu susciter même si aucun diagnostic n’a été énoncé.

 

 

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6. Il y a débat sur la part respective du somatique et du psychique en psychiatrie, débat qui a une incidence sur la façon de recevoir la plainte d’un sujet et sa demande de soin. Permettre au sujet de produire, au-delà du diagnostic un savoir qui lui est propre à partir de ce qui lui est advenu, ou faire offre de remédiation cognitive à partir d’un savoir expert : ces deux options paraissent inconciliables et emportent des enjeux éthiques, qu’en pensez-vous ?

 

La formulation de cette question est à mon sens un peu excessive : psyché et soma sont indissolublement liés et les opposer me paraît artificiel. L’opposition frontale existant entre les tenants d’une étiologie purement biologique des pathologies psychiatriques et les défenseurs absolus d’une approche psychodynamique unique de ces pathologies induit effectivement un questionnement éthique mais la grande majorité des praticiens exerçant au quotidien, aussi bien en milieu hospitalier qu’en libéral, estiment qu’il est possible de répondre à la demande des patients de façon éthique dans une perspective globale bio-psycho-sociale.

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