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variation sur le ROSSIGNOL

LAURENCE METZ

C'est Alain Le Bouëtté qui a proposé ce titre pour notre blog. En ces temps de confinement, ce rossignol chantait bien à l'oreille. Oiseau discret, timide, il est connu pour son chant aux notes très variées, flutées et répétées, aux sifflements sonores, gazouillants ou rauques suivant les circonstances.

 

Mais pourquoi cet oiseau-là serait-il emblème de notre blog dont le thème est le diagnostic ? Jacques-Alain Miller, dans Le rossignol de Lacan, développe cette question du diagnostic qui permet de passer des signes à la classe. Mais « les classes ne tiennent leur fondement ni de la nature ni de l'observation. Nos catégories ne sont pas des espèces naturelles, (...) les classes reposent sur la conversation entre les praticiens. Voilà pourquoi nous organisons (…) des journées de travail, des colloques » [1].

 

Il évoque un poème de Keats qui, dans un jardin, dit entendre l'éternel rossignol : « La voix que j’entends cette nuit fut entendue, Dans les anciens jours par empereurs et manants ». Oui, dit J.-A. Miller, le rossignol, comme tout animal, réalise totalement l'espèce en tant qu'exemplaire de cette espèce, « mais l'être parlant, le sujet, l'être de langage, jamais ne réalise aucune classe de manière exhaustive. (...) Nous appelons sujet (…) l'effet qui distingue l'individu de l'espèce (...), qui sépare le cas particulier de la règle. (…) Il n'y a que des exceptions à la règle ». [2]

 

Ne pourrait-on dire que le rossignol, quand il entre dans la langue des écrivains, devient « singulier ». Le rossignol de Keats [3], poète exténué par la maladie, chante doucement pour le repos ; celui d'Ovide célèbre la nouvelle forme de Philomène pour échapper à Thésée ; celui de Shakespeare est l'objet du mensonge de Juliette à Roméo : « Veux-tu donc partir ? Le jour n'est pas proche encore : c'était le rossignol et non l'alouette dont la voix perçait ton oreille craintive » [4] ; celui d'Andersen rivalise, pour plaire à l'empereur de Chine, avec un rossignol mécanique couvert de diamants, de rubis et de saphirs : « le véritable rossignol chantait selon son inspiration naturelle, et l'autre obéissait aux mouvements des cylindres (...) Car, voyez-vous, messeigneurs, et vous, grand empereur, avant tous, chez le véritable rossignol on ne peut jamais calculer sûrement les notes qui vont suivre ; mais chez l’oiseau artificiel, tout est déterminé d’avance. On peut l’expliquer, on peut l’ouvrir, on peut montrer où se trouvent les cylindres, comment ils tournent, et de quelle manière les mouvements se succèdent » [5].

 

[1] Miller J.-A., « Le rossignol de Lacan », La cause freudienne n° 69, septembre 2008, p 86.

[2] Miller J.-A., Ibid., p. 90.

[3] Keats J., « Ode à un rossignol », disponible sur internet.

[4] Shakespeare W., « Romeo et Juliette », scène XVI, disponible sur internet.

[5] Andersen H. C., « Le rossignol et l’empereur de Chine », disponible sur internet.

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