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ODE AU ROSSIGNOL

ALAIN le BOuëtté

Jacques-Alain Miller, dans son texte « Le rossignol de Lacan » (1), prend comme exemple celui offert par Borges dans son texte des Enquêtes qui s’intitule « Le rossignol de Keats », pour nous faire saisir notre malaise actuel dans la culture. Un grand mouvement historique dévoile à la fois comment les classes ont un caractère d’artifice mais aussi comme l’individu s’en trouve disjoint, effet de sujet qui joue sa partie dans ce jeu de classes.

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John Keats écrit cette Ode au rossignol dans le jardin de Hampstead, une nuit d’avril 1819. Écoutant ce chant, il « entendit l’éternel rossignol d’Ovide et de Shakespeare et il eut le sentiment de sa propre mortalité, par contraste avec la frêle voix, impérieuse, de l’invisible oiseau » (2).

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Est-ce une erreur en confondant l’individu et la classe, en opposant l’éphémère de la vie humaine et la permanence de l’oiseau ? Comme le prétendent certains critiques anglais.

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Borges, à l’instar de Keats affirme que chacun est rossignol, que « les classes, les ordres, les genres sont des réalités dans un cosmos dans lequel chaque chose a sa place » (3).

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Le psychanalyste s’intéresse à l’effet de division qui se produit chez Keats en tant que sujet, entre ce qui lui fait sentir sa mortalité, et l’animal qui réalise totalement l’espèce en tant qu’exemplaire.

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« L’être parlant, le sujet, l’être de langage, jamais ne réalise aucune classe de manière exhaustive. Il ne peut s’imaginer confondu avec l’espèce humaine que lorsqu’il se pense mortel, comme Keats dans ce cas. » (4)

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S’intéresser à la question actuelle du diagnostic, c’est donc à la fois saisir les effets de ce moment actuel où nous savons que les classes sont des artifices, et qu’« elles reposent sur la pratique linguistique de ceux qui sont concernés » (5). Quoi donc de mieux que le poète ou la littérature pour nous le faire saisir !

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Mais c’est aussi nous introduire à un monde qui ne soit pas un « cosmos, ni un univers, un monde qui ne constitue pas un tout, et qui est sujet à ce qui va arriver, qui est sujet à l’événement » (6). L’échec du DSM et le rêve du diagnostic automatique ouvrent la voie à la contingence et aux surprises, tant pour chaque sujet qui réinvente la règle qui manque pour se confondre avec l’espèce, que du clinicien dans son art de juger, de décider ce qui connecte ou pas le cas particulier et l’universel de la classe.


 

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(1) Miller J.-A., « Le rossignol de Lacan », Revue La Cause Freudienne, n° 69, septembre 2008, p. 88.

(2) Borges J.L., « Le rossignol de Keats », Enquêtes, Paris, Folio, Gallimard, 1967, p. 155-157.

(3) Miller J.-A., « Le rossignol de Lacan », op. cit., p. 89.

(4) Ibid., p. 90.

(5) Ibid., p. 86.

(6) Ibid., p. 90.

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