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L'interview

Trois questions à Marie-Hélène Brousse.

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  1. Pensez-vous qu’un diagnostic en psychiatrie est du domaine de l’identification ? On dit par exemple avoir un diabète, mais être bipolaire…

 

Selon moi, un diagnostic, en psychiatrie comme dans d’autres champs des savoirs – sciences naturelles, mécanique, informatique, etc., à l’exception des mathématiques peut-être –, est du domaine du classement. Georges Perec a écrit un livre magnifique intitulé Penser / Classer [1]. Ce mode de jouir qu’est la pensée implique la classification donc la différenciation de traits jugés pertinents. Une classification est donc un mode de rangement dans des cases, qui peuvent être vides d’éléments. Einstein avait devancé les capacités d’observations empiriques du phénomène « ondes gravitationnelles » à partir des axiomes de la relativité. C’est environ cent ans plus tard que la case prévue fut remplie.

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Le diagnostic me semble, en psychiatrie comme ailleurs, relever d’abord de la différenciation de traits et dans un deuxième temps, en rapport à ces traits, faire entrer le patient dans la classification.

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Il est clair que les classifications sont toujours arbitraires : elles effectuent au mieux un découpage du réel psychique.

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   2. Quand on fait un diagnostic en psychiatrie, qu’est-ce-qui est nommé chez l’autre ? Que diriez-vous de la tension entre un savoir qui serait propre au parlêtre et le savoir qui se recommande de la science ?

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La nomination entre en jeu dans le classement : nommer les traits. Mais elle ne porte pas sur les sujets. Dans toute une partie de son enseignement, Lacan opère avec une classification empruntée à la psychiatrie : névrose, psychose et perversion, et cherche à l’élever à la dignité d’une classification structurale. La recherche de phénomènes dits élémentaires dans la psychose en est un exemple, ou encore la différence entre refoulement et forclusion. Cette perspective du Lacan que je dirai classique n’est plus celle du dernier enseignement de Lacan. Ces trois structures, névrose, psychose et perversion, deviennent des Noms-du-Père, pluralisant ce qui jusqu’alors, depuis Freud, servait de socle unique à la psychanalyse. On passe donc à un autre registre, celui de la clinique borroméenne. Il s’agit alors, au un par un, de nommer non plus seulement le sujet mais de trouver la formule du sinthome qui noue chaque corps parlant, dans l’irréductible singularité de son organisation de jouissance.

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Sur la question de la différence du savoir en psychanalyse avec le savoir recommandé par la science tel qu’en ce moment de crise sanitaire nous l’assènent les différents experts, je ne sais pas si je parlerais de tension. Le savoir psychanalytique ne fait l’objet d’aucune reconnaissance par le discours qui s’auto-labellise scientifique et qui n’a rien à voir avec la science, laquelle n’est pas un discours. Ce discours est, même s’il est tenu par des scientifiques, avant tout un discours du maître. La psychanalyse, qui est son envers, n’a pas grand-chose à en attendre. Elle le retourne.

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   3. On peut constater que les diagnostics peuvent constituer un lien social. Les bipolaires, les entendeurs de voix, se regroupent, et assez souvent l’apprécient. Y-a-t-il du nouveau dans le lien social ?

 

Oui, le lien social ou discours du maître reste lié au Nom-du-Père, lequel a muté en différentes versions. Des fratries se regroupent, dans un éparpillement de minorités qui, remettant ou non en cause les standards du discours psychiatrique, se constituent par auto-ségrégation. Autour d’une nomination choisie dans l’Autre de la langue, des Uns-tout-seuls s’identifient autour d’un « nous ». La psychanalyse peut aussi en jouer. Tant qu’il y a du symptôme, quelle que dominante, imaginaire, symbolique ou réelle, qu’il adopte, le discours analytique peut être de la partie.

 

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[1] Perec, G., Penser / Classer, Paris, Points, 2015.

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