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L'interview

Trois questions à Véronique Voruz.

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1. Dans un article, vous écrivez que la convention de l'ONU, ratifiée en 2019 par 177 états dont la France, requalifie comme « handicaps » des troubles autrefois dits psychiatriques, et transforme le soin en méthodes éducatives et de soutien. Une rupture est patente : le diagnostic et le traitement qui revenaient aux soignants est maintenant dans les mains de l’administration sanitaire. Que pourriez-vous en dire ?

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Nous assistons actuellement à une reconfiguration du champ dit de la santé mentale du fait de la rencontre d’un mouvement citoyen et d’une logique gouvernementale. D’un côté, le mouvement des identity politics milite contre toute discrimination basée sur un « état » (ainsi le handicap) et exige des États signataires qu’ils organisent un système de réponse sociale qui réduirait l’effet du handicap à zéro du fait d’aménagements adaptés à chaque handicap (rampes pour handicapés moteurs, signaux sonores pour aveugles, etc.). Cela se traduit, pour les personnes souffrant de troubles mentaux chroniques qui sont inclues dans la convention onusienne, par un régime leur permettant de continuer à prendre, avec l’aide de personnes spécialisées, les décisions pertinentes à leurs régimes de soin (et de détention le cas échéant). L’objectif est de mettre fin aux soins sans consentement et à la privation de liberté d'office en mettant au centre des dispositifs de santé mentaux l’autonomie de la personne concernée, autonomie qu’il faudra renforcer le cas échéant par un encadrement par des professionnels des questions de capacité mentale.

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L’enjeu, pour ce qui concerne les troubles psychiques, est de dé-stigmatiser la folie et de considérer les différents types de subjectivité comme tels, c’est à dire comme des formes de personnalité qui mettent à la charge de l’État d’avoir à y répondre de manière non discriminante.

 

De l’autre côté, notre logique gouvernementale est celle de la gestion des masses humaines par le biais de la santé, ou gestion sanitaire du vivant. La récente pandémie a ainsi fait monter sur la scène des biopolitiques contemporaines le nouveau signifiant de biosécurité, qui désigne les précautions à mettre en œuvre pour protéger les humains de toute contamination virale. L’effet combiné de ces deux mouvements qui animent notre civilisation est de problématiser l’utilisation des diagnostics psychiatriques qui ne sont pas congruents avec l’orientation antidiscriminatoire des politiques onusiennes, et de multiplier les appellations visant à gérer les bizarreries humaines de manière non stigmatisante, en permettant l’accès à des mesures d’aménagement du quotidien de chacun (soutien scolaire, aide à l’emploi, allocations, etc.). En résulte ce que certains auteurs Anglo-Saxons appellent la pathologisation de la condition humaine, donnant lieu à une série d’hétéro ou d’auto-nominations effectuées sur la base d’observations phénoménologiques, associée à une dévalorisation du savoir clinique au nom de l’autonomie individuelle et du respect de la particularité de chaque un.

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2. Entre 1952 et 2015, les différentes versions du DSM sont passées de 60 pathologies à 410 troubles. Le DSM est décrié mais 3 diagnostics : bipolarité, hyperactivité et troubles autistiques ont fait accroche et revendication. Qu’en pensez-vous ?

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Le DSM dans sa cinquième mouture a fait le pari d’une exhaustivité dans son recensement des bizarreries du comportement humain. De ce fait, l’équivalence entre normal et pathologique n’a échappé à personne, puisque les critiques du DSM-5 affirment que tout être humain est affecté de trois ou quatre diagnostics DSM, seule la question du « seuil » atteint par le « trouble » permettant d’en faire une pathologie psychiatrique, et non la forme.

 

Cependant, certains diagnostics sont adéquats à nommer la jouissance dans ses formes illimitées qui se répandent aujourd’hui du fait du passage de la matrice de la civilisation de l’universel masculin au pas-tout féminin (ainsi que Jacques-Alain Miller l’a développé dans ses « Intuitions Milanaises » [1]. La jouissance féminine est aujourd’hui le régime de la jouissance comme telle, et les corps parlants sont traversés par un illimité qui à l'occasion dévastent les organismes que le discours contemporain parasite. Sur-stimulation par les objets technologiques, absence de frein à la jouissance dans le discours capitaliste, disparition du temps pour comprendre, qui est le temps nécessaire à la formation de l’inconscient, produisent une forme de vie faite d’une succession d’instants. Ces trois nominations viennent bien rendre compte des effets de sujet que produit notre civilisation.

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3. Vous dites dans votre intervention La folie à l’ère de la biopolitique [2], que : « la psychanalyse (...) permet de prendre appui sur l’insurrection symptômale qui anime chaque être vivant, de lui redonner sa dignité, de résister de la bonne manière ». Pouvez-vous développer ce point ?

 

La psychanalyse permet, au cas par cas, de faire que l’itération de jouissance qui anime chaque parlêtre se pacifie d’un usage du symptôme parfois acquis au cours d’une longue analyse. Connaître ce qui itère pour ne plus en être ravagé, s’appuyer dessus pour s’extraire de la folie ambiante qui nourrit le désarroi humain de plus en plus de signifiants visant à nommer la jouissance, mais qui n’ont d’autre effet qu’un affolement toujours plus avéré du fait de l’inefficacité de ces nominations du social. Le symptôme, défini par Lacan à partir de Marx comme ce qui fait insurrection au savoir, savoir associé à l’impuissance pour ce qui est de réguler la jouissance (voir le Séminaire XVI) [3], offre la boussole du réel aux égarés que le règne du savoir a fait de nous. Si les non dupes errent, la boussole du symptôme est ce qui peut nous orienter face à une chaîne signifiante délestée par le relativisme des discours.

 

 

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[1] Miller, J. – A., « Intuitions Milanaises (1), Mental, n°11, décembre 2002, p. 9-21, et « Intuitions Milanaises (2), Mental, n°12, mai 2003, p. 9-26.

[2] Conférence donnée à Morlaix le 21 septembre 2019. Voir aussi Voruz V., « L’insurrection permanente », disponible sur le site de l’ASREEP-NLS : http://asreep-nls.ch/linsurrection-permanente

[3] Lacan, J., Le Séminaire, Livre XVI, D’un Autre à l’autre, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Le Seuil, 2006.

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