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L'interview

Quatre questions au Dr Christine Chanudet, psychiatre, praticien hospitalier à l’E.P.S.M. Gourmelen de Quimper (29), Membre de l'ACF-VLB.

 

 

1. À quoi répond, selon vous, la demande, voire l’exigence de diagnostic en psychiatrie ? Que pourriez-vous dire de ce qui demande à être nommé ?

 

Avec le DSM, la demande voire l’exigence du diagnostic en psychiatrie est celle de faire entrer un patient dans une classification de troubles mentaux, qui inclut la notion de norme. Le patient devient un exemplaire d’une classe qui lui indique la prise en charge médicale ou bien médico-sociale et financière qui lui correspond. La clinique psychanalytique lacanienne est à l’opposé de la classification. La visée est de nommer la formule de jouissance de chaque Un pour qu’il y trouve de nouveaux arrangements.

 

 

 

2. Quelle place prend dans votre clinique la dimension du diagnostic ?

 

Le diagnostic appartient aux constructions médicales. C’est un repérage de signes dont le regroupement fait syndrome, tableau, maladie. Il est maintenant établi avec le DSM à partir du regroupement dit « objectif » de divers comportements. La parole du patient, sa « subjectivité » et la relation « médecin / malade » – autrement dit le transfert – ne font plus partie de la clinique psychiatrique actuelle. Dans ma clinique, qui est celle orientée par la psychanalyse lacanienne, le diagnostic de structure (névrose et psychose) du premier enseignement de Lacan donne des indications pour la direction de la cure, l’interprétation, la manœuvre du transfert, mais ne dit rien de la singularité du patient quant à sa jouissance. Avec le dernier enseignement de Lacan, le diagnostic perd de son importance dans sa référence à la structure. Lacan aborde la jouissance avec le corps parlant et son réel. Le psychiatre qui a fait une analyse a un autre abord de la clinique parce qu'il sait qu’au regard de ce réel, il n’y a aucune normalité qui vaille.

 

 


3. Dans la démarche diagnostique, quelle place pour la singularité du patient ?

 

Le diagnostic en psychiatrie repose maintenant sur le DSM. Le DSM est une classification des troubles mentaux qui repose sur le recueil statistique de symptomatologies standards et quantifiables à partir de comportements. Cette classification purement descriptive était censée donner un langage unique aux psychiatres et servir l’industrie pharmaceutique en associant des médicaments ciblés pour chaque trouble (dépression et antidépresseur, bipolarité et régulateur de l’humeur par exemple). Cela ne dit rien de la personne elle-même, du sujet.

 

La clinique psychanalytique n’est pas une clinique du comportement. Elle ne se confond pas avec une visée éducative se déclinant selon les critères de conformité à une « norme ». Cette clinique tient son orientation du réel. Elle met en forme un au-delà dans la fonction de la parole et du langage, un au-delà où les mots prennent corps, affects, sensations et qui ne vaut que pour un sujet donné, un sujet singulier, un parlêtre (les êtres qui ne tiennent leur être que de la parole). C’est une clinique du Un par Un, qui s’appuie sur la singularité de l’organisation de jouissance de chaque Un. Ainsi, c’est le détail qui prend le pas sur l’ensemble, c’est le lien au partenaire, symptôme ou pas, c’est la manière dont le sujet se soutient de son ego, de son symptôme, de son bricolage, de l’Œdipe même. C’est cette singularité qui va guider la direction de la cure. 

 

 


4. Quelques-uns des nouveaux diagnostics en psychiatrie sont très demandés, les anciens diagnostics étaient redoutés, que s’est-il passé ?

 

Certains diagnostics en psychiatrie sont très utilisés : la dépression, la bipolarité, l’hyperactivité, les troubles envahissants du développement, l’autisme. Les termes comme psychose, folie sont mis à l’écart de la psychiatrie. Ils sont maintenant rangés du côté du handicap et du médico-social. Que s’est-il passé ?

 

La recherche scientifique de la causalité en psychiatrie a changé. Elle se fonde maintenant sur une causalité organique, neurobiologique et génétique. La conception organique actuelle de l’homme a débouté la causalité psychique qui était au fondement de la psychiatrie et de la psychanalyse. Causalité psychique au sens où les maladies psychiatriques sont des maladies de la parole et du langage. Il y a maintenant rejet de l’écoute et du transfert au profit des traitements physiques (médicaments, électrochocs, neurostimulation). On peut dire qu’il y a forclusion du sujet par la science. Ainsi l’humain serait débarrassé du parasite langagier et de ses effets de jouissance. La folie dérange. Elle fait trou dans le « tous pareil ». La psychanalyse tient compte du réel de la folie, de la réalité psychique dans sa forme singulière : le symptôme de chacun qui soutient un mode de jouissance de chaque Un.

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